
Ma réalité est simple et c’est probablement la même que bien d’autres jeunes.
Ma réalité, c’était de partager ma chambre avec ma mère pendant toute mon enfance, et même rendue à l’âge adulte. Ma réalité, c’était d’aller dans les camps de jour pendant que les autres voyageaient parce que Maman devait travailler. Ma réalité, c’était de devoir aller dans la salle communautaire pour faire mes devoirs parce que le logement de Maman était trop petit pour nous cinq. Ma réalité, c’était de ne pas pouvoir inviter des amies à la maison parce que j’avais trop honte du jugement des autres. Malgré tout ce désespoir, je suis consciente de la chance que j’ai eue d’être la seule fille parce qu’autrement, j’aurais été obligée de partager mes vêtements avec mes sœurs, ce qui fut une réalité pour mes frères. Ma réalité, c’était de ne pas pouvoir bien exploiter mon plein potentiel parce qu’impossible d’avancer quand la seule chose que tu veux est de fuir ton logement, fuir ta réalité.
La rue en exemple
Comment ne pas sombrer dans la consommation quand tu n’as même pas eu la chance d’avoir un exemple paternel, quand tu as vécu toute ton enfance dans un tel environnement, quand le seul exemple que tu as est la rue, quand Maman doit travailler dur tous les jours, des heures et des heures, pour pouvoir nous offrir nos caprices inutiles de sorte que nous soyons heureux ou, du moins, faire semblant de l’être devant tout le monde.
Comment ne pas rester à l’extérieur, en bas dans le bloc, quand tu vis dans ce petit espace entassé les uns sur les autres? Une place ou normalement on y trouve le réconfort. J’ai souvent eu envie de me lever et de crier « Je manque d’air. J’ai besoin de respirer ». J’ai souhaité et j’ai prié de touts mes forces pour qu’un jour je puisse enfin me réveiller de ce cauchemar.
Nous créons des problèmes à nos mamans qui en ont déjà beaucoup sur les épaules. Des plaintes sur des plaintes, ça n’en finit plus. Cette vie, on ne l’a pas choisie, mais c’est chez nous. Les anciens savent et les nouveaux locataires craignent. Qui ne traverserait pas la rue en voyant un attroupement de jeunes « délinquants » devant l’édifice? Toutes sortes de préjugés en ressortent, mais ces gens là ne sont pas à blâmer parce qu’ils ne savent pas comme nous on sait. Ils ne marchent pas dans nos souliers.
Prendre conscience
Lorsque j’avais 7 ans chez moi, c’était le paradis, la vie était si simple malgré le peu que nous avions. Tout me semblait parfait. Plus les années ont passé, plus je voyais clair et je prenais conscience de ma réalité. À 7 ans, ma réalité c’était de ne pas pouvoir sortir dehors jouer parce que les plus vieux boivent, chillent et fument. Maintenant, nous voilà rendus les plus vieux; on reproduit les mêmes erreurs que certains parce que voici le seul exemple que nous avions eu (les grands qui boivent, qui chillent et qui fument). À qui la faute? On se retrouve coincé dans ce cercle vicieux qui tourne et tourne et tourne. Les plus jeunes nous voient aller et deviendront à leur tour les plus vieux et reproduiront à leur tour les mêmes erreurs et ainsi de suite… Mais à qui la faute?
Moi qui suis encore à la recherche de mon identité, trop coincée dans ce petit logement pour progresser, avec la seule idée en tête que je ne serais jamais quelqu’un. Pourquoi moi?
Les autres ont l’occasion de faire des erreurs et d’en tirer des leçons, de tomber et de se remettre sur leurs pieds avec le support de leurs parents. Pour notre part, l’erreur n’a pas lieu. Nous devons travailler pour pouvoir rester dans le ménage ou pour pouvoir étudier, sinon on est considérée comme inutile. Donc, au lieu d'aller de l'avant, on se retrouve coincée à faire des emplois et des choses que nous ne voulons pas, seulement pour soutenir un ménage qui ne nous soutient pas en raison du manque de moyens.
Cette réalité m’a permis d’avoir la chance de travailler à l’Office municipal d’habitation de Montréal (OMHM) et de côtoyer du monde extraordinaire. Une expérience qui m’a permis de me découvrir et surtout d’avoir un aperçu de la face cachée de ma réalité. J’ai pu apprendre et en apprendre davantage à mes collègues par rapport à ma propre expérience.
Aujourd’hui, du haut de mes 22 ans, je vous écris un aperçu de ma réalité que je dois écourter ici, parce que même un roman ne serait pas suffisant pour vous expliquer cette réalité à laquelle je ne peux pas échapper. Cette réalité a fait de moi la personne que je suis aujourd’hui, elle m’a rendue plus forte, plus déterminée et plus apte à affronter les obstacles de la vie qui m’attendent.
Merci Shaina d'avoir partagé
Merci Shaina d'avoir partagé avec nous ta réalité. Ton texte me touche et ta réalité m'émeut. Je ne peux qu'admirer ta résilience et ta force à traverser cette dure réalité. J'ai eu le plaisir de travailler avec toi et de découvrir une jeune pleine de potentiel et de désir de se construire une vie meilleure. J'espère sincèrement que nos routes se recroiseront.
Excellent article!
Excellent article!
Merci Shaina pour ce très
Merci Shaina pour ce très très beau témoignage.
C'est important pour nous, employés de l'OMHM de pouvoir voir un peu de l'intérieur, ce que les jeunes des HLM, les familles nombreuses vivent. Bravo pour ton courage et ta détermination!
Esther
C'est un article très
C'est un article très Émouvant
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